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Les Exigences d'Olivia Profizi ou la guérison par l'écriture.

9 février 2014 par Julien Durand

Rachel a tenté de mettre fin à ses jours. Hospitalisée, elle va peu à peu reprendre pied. La raison d'un tel geste, suite à un chagrin d'amour que toute jeune fille connaît un jour, elle va se tourner vers un ami de sa mère pour la réconforter. Maxence, plus âgé qu'elle, artiste peintre raté, dont les déviances sexuelles, vont entraîner la jeune fille dans des caves sordides, offerte sur une table de sacrifice à d'autres hommes.

 

Traiter d'une relation où dominance et soumission règnent, la chose n'est pas nouvelle. Le marquis de Sade, le maître en la matière, savait comment retranscrire des scènes toujours plus morbides où sexe et violence cohabitaient, où les personnages féminins étaient à la fois dominés par l'acte et le langage. Les amants fusionnels, la culture populaire d'aujourd'hui ne les a jamais autant mis en avant. Cependant, la passion qui les anime est parfois tourmentée par une violence latente – succès de Cinquante nuances de Grey oblige – qui s'extériorise au fil du récit allant toujours plus loin vers les pratiques sadomasochistes.

 

A première vue, Les exigences, édité chez Actes Sud, surfe sur cette vague, mais là où les autres écrivains enchaînent les passages érotiques de plus en plus choquants, on trouve dans l’œuvre d'Olivia Profizi, un récit où le personnage féminin est en quête de compréhension et de reconstruction. Et c'est là, la force de ce roman, prendre une idée originelle en la traitant de manière originale.

Sans jamais faire dans le sensationnel, l'évocation des sévices que Rachel a subis intervient par petite touche discrète, évitant les longues descriptions, là où d'autres écrivains, page après page vont augmenter le degré de souffrance et exploiter la thématique de manière pornographique. Non, l’intérêt de l’œuvre est l'après, quand le point de rupture se déclenche, que la douleur n'est plus acceptable, et qu'il est parfois trop tard pour revenir en arrière.

 

Le roman d'Olivia Profizi soulève beaucoup d'interrogations. Sur la position de Rachel, au sein de sa relation avec Maxence, victime abusée ou bien individu consentant. Elle finit par accepter ses responsabilités dans cette relation, même si son entourage n'est pas dupe de l'influence néfaste qu'a pu représenter ce sexagénaire. Un homme qui, lui, va peu à peu sombrer dans la colère et la peur. Une colère contre Rachel, avec un secret qui s'expose au grand jour, et la peur de perdre le pouvoir, face à un corps toujours plus vieillissant, une virilité qui disparaît, accentuée par la vision de son père malade, atteint d’Alzheimer. Cela offre une psychologie plus sombre au personnage qui, pour rester lui-même, doit parvenir à dominer l'autre. Au plus mal, Rachel pensera que c'est dans sa nature de subir, peut-être folle, ne distinguant plus la frontière entre le bien et le mal. Pourtant, on comprend vite qu'il n'en est rien, car si Rachel accepte les exigences de son bourreau, elle ne parvient jamais à faire subir les mêmes sévices à ces partenaires lors de ces jeux érotiques.

 

Pour son premier roman, c'est un véritable exercice de style auquel s'adonne l'écrivaine. Choisissant un système d’énonciation à deux voix, l'auteure offre le point de vue de Rachel et celui de Maxence, alternant les deux narrateurs tout au long du récit. Les phrases sont construites de manière à retranscrire la pensée de chacun des protagonistes, des phrases courtes, parfois juste un mot, pour le cheminement de la pensée de Rachel, et plus longue pour accentuer la voix masculine qui, cependant ne parvient pas toujours à convaincre, à un point qu'on pense avoir à faire un narrateur féminin pendant les premières pages, alors que c'est Maxence qui commence le récit. La faute aussi à une quatrième de couverture trompeuse, qui met avant tout l'accent sur l'aspect héroïque de Rachel. À noter aussi, les dialogues entre Rachel et le Dr Lasalle, qui finissent par être souhaités tant ils offrent des instants riches, où l'héroïne fait preuve de beaucoup d'ironie face à sa situation.

 

Après la lecture de ce premier roman d'Olivia Profizi, je reste sur une impression mitigée tant par le thème abordé, qui pourra laisser bon nombre de lecteurs sur le bas-côté, que par une intrigue qui ne laisse aucun doute sur la conclusion d'une l'histoire, un peu trop conventionnelle utilisant l'opposition de l'ombre face à la lumière et de l'ascension face à la descente aux enfers. Pourtant ne pas ouvrir ce livre ou le refermer trop vite, c'est rater de très beaux moments, comme la relation entre Rachel et ses parents qui parviennent à affronter des vérités jusque-là non évoquées ou encore Maxence qui finit par se révéler tel qui l'est à sa femme. On s'attache aux personnages et la torture psychologique à laquelle ils se soumettent, soit pour retrouver un équilibre, soit pour s'enfoncer encore plus dans la solitude et le tourment, laisse entrevoir la maturité d'une grande auteure en devenir.

 

Au final Olivia Profizi nous livre un beau combat dans lequel Rachel, grâce à l'écriture, parvient à trouver la guérison. Les exigences de la domination laissent place au langage de la reconstruction.

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